Eric Poindron i La Bastide-PuylaurentEric Poindron in La Bastide-PuylaurentEric Poindron en La Bastide-PuylaurentEric Poindron a La Bastide-PuylaurentΟ Eric Poindron στο La Bastide-PuylaurentEric Poindron i La Bastide-Puylaurent

Eric Poindron à La Bastide-Puylaurent

Eric Poindron La Bastide-PuylaurentissaEric Poindron i La Bastide-PuylaurentEric Poindron in La Bastide-PuylaurentEric Poindron在La Bastide-PuylaurentEric Poindron в La Bastide-PuylaurentEric Poindron in La Bastide-Puylaurent
La Bastide-Puylaurent en Lozère

Philippe joue du piano au Gîte L'Etoile à La Bastide-PuylaurentVous mangez avec nous ? Les truites ont été pêchées cet après-midi et le potage est maison. En plus j'offre l'apéritif... C'est le propriétaire de L'Etoile Maison d'hôtes à La Bastide-Puylaurent - mille vingt-quatre mètres -, un géant sympathique d'environ trente-cinq ans qui lance l'invitation avant de montrer la chambre. Deux lits, un lavabo et une vieille table de bistrot à plateau de bois pour les écritures du soir. Vue sur l'Allier. L'ânesse a fait le sien. Elle dormira dans une grange, au pied de la rivière, près d'un vieux pont. Elle semble apprécier l'endroit. Ici même les canards ont l'air en vacances.

La terrasseVous venez de loin ? - Après Saint-Flour-de-Mercoire, nous avons suivi au plus près la rivière, évité Fouzillic et Fouzillac à cause du temps et Cheylard-l'Evêque pour arriver avant le soir. A Luc, c'était tout droit, ou presque. On voulait monter à la trappe de l'abbaye Notre Dame des Neiges, mais avec l'ânesse c'était compliqué... Pas de regret. D'après notre hôte, on a fait le bon choix. C'est haut et encore loin, malgré la nuit claire, nous nous serions égarés. Il faut connaître, c'est sauvage là,-haut. Et puis l'hôtellerie n'est ouverte qu'aux retraitants.

Bière belge pour tout le monde ? Et c'est parti, bière belge pour tout le monde. Nous sommes installés devant le feu dans la vaste salle qui sert autant à la restauration qu'à la détente quand deux nouveaux randonneurs posent leurs sacs : Raoul, un Stéphanois, et Graeme, un Anglais de Bristol. Arrive enfin Billy, le labrador feu du gîte. En dehors des villes, il est inutile de faire de longues présentations. On n'affiche pas les couleurs, on ne dresse aucun pavillon. Les sacs à dos suffisent à la complicité.

Le propriétaire revient les bras chargés de fruits secs. Les langues se délient. Après la marche, un type qui soupe avec vous devient votre ami. Question(s) de parcours. Le seul à s'expliquer, c'est le propriétaire du gîte : - Je m'appelle Philippe Papadimitriou, je suis moitié belge, moitié grec et le reste du temps lozérien. Avant de s'installer à La Bastide-Puylaurent, de s'arrimer à la Lozère, il a arpenté l'Australie, cherché de l'or en Californie et traversé la France à cheval. C'est comme ça qu'il a découvert la Lozère et craqué sur l'endroit. Deux chevaux, sa nana avec un cheval et deux chiens. Il s'est posé et, six mois après, il démarrait le gîte.  

Eric Poindron à L'Etoile Maison d'hôtes à La Bastide-PuylaurentJ'adore, j'ai l'impression d'avoir un bateau. Depuis j'en mets un coup. La vie est précieuse. Puis il raconte la petite histoire de sa maison, autrefois une pension de famille comme il faut, l'hôtel Ranc. Monsieur y emmenait femme et enfants afin qu'ils prennent l'air et se pressait d'aller retrouver sa maîtresse sur la Riviera. Philippe cherche à conserver le côté pension de famille, même pour une nuit. "Quand on part de chez moi, on doit avoir une seule envie, revenir au plus vite."
Il ne lésine sur aucun moyen pour augmenter sa clientèle de fidèles: nourriture impeccable, chambres spacieuses, atmosphère unique. Sans compter l'humour à froid et une grande aptitude au bonheur. Philippe a le feu sacré, il refuse de baisser les bras, "même si ce pays n'est pas le sien, justement parce que ce pays n'est pas le sien". Il peste contre la main-d'oeuvre qui cherche à gagner Le Puy-en-Velay, Saint-Étienne ou le Sud. Qu'est-ce qu'ils feront de plus, à Montpellier ? Mais il n'accable personne, il sait que vingt-cinq ans de Lozère, ça peut donner des envies d'ailleurs et de fuite définitive. Lui, il se plaît ici.

La table d'hôtes et la soupe maisonLa soupe sent le jardin, la chair des truites est ferme et les crêpes maison sont servies à discrétion. Le petit vin coquet de Notre-Dame-des-Neiges accompagne l'ensemble. Vin de fruits et vin de messe, tout passe dans le même tube. Si Stevenson avait connu la maison d'hôtes L'Etoile, nul doute qu'il y aurait séjourné. À table, chacun y va de son anecdote, de ses impressions désordonnées sur les lieux traversés. Raoul le Stéphanois raconte ses exploits. Il a fait la Corse cet été. Graeme, l'Anglais filiforme, spécialiste du romantisme allemand et du Sturm und Drang, modère l'importance de Stevenson sur le sol anglais. Comme à regret. - Travels with a donkey in the Cevennes, pour nous, c'est un livre pour les enfants, un livre de dictée. Un charmant texte pour apprendre l'orthographe. Puis il exhibe son manuel, un petit livre rouge, illustré et corné, qui l'accompagne durant sa marche. - Quand j'ai parlé de mon voyage à mes amis, ils se sont étonnés. Chez nous Stevenson est un raconteur de belles histoires, un écrivain populaire... Professeur de français pendant plusieurs années dans le Languedoc, c'est en France que Graeme a découvert le Voyage. Il ne regrette pas la marche et veut terminer sans retard car pour lui, à Saint-Jean- du-Gard, c'est la fin des vacances. Il doit regagner l'Angleterre dans quelques jours. Il lève son verre aux rencontres françaises.

Eric Poindron, Philippe Papadimitriou et David CollinPhilippe en profite pour apporter du café, de l'alcool de poire et des petits gâteaux belges à la cannelle. Il pose le plateau et s'empare de sa guitare... "J'ai traversé le monde et la Californie, j'ai mis les mains dans la boue pour trouver l'or, je suis un chercheur d'or." C'est en chantant Dylan, Neil Young, Eagles et son propre répertoire - dont il n'a pas à rougir - qu'il poursuit son histoire de cow-boy moderne.
 

Une bûche dans l'âtre et la folk ambiance s'installe. This boots are made for walking... Raoul en profite pour surveiller ses ampoules naissantes. Café, bière et Léonard Cohen. Les chansons, ça réchauffe. Après la belle étoile, le beau gîte de L'Etoile. Quand Graeme l'Anglais demande au Belgo-Grec si il a lu "Voyage avec un âne dans les Cévennes", l'autre sourit : - J'ai lu deux livres dans ma vie. Ma bibliothèque, c'est ma tête. Sur la route à quatorze ans. Travailler dans des fermes, dormir dans les granges et après l'Amérique. Ils sont là, mes livres.

Des moines dans la montagne. Et je rendis grâce à Dieu d'être libre d'errer, libre d'espérer, libre d'aimer...

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Eric Poindron

À la sortie de La Bastide-Puylaurent, dans la forêt dense, coincés entre Vivarais et Gévaudan, nous cherchons le chemin qui mène à la trappe, lieu de retraite des moines. Le soleil parvient à éclairer les hêtres, les frênes et les sapins comme un matin d'été. Le bât de Noé est alourdi de quelques sandwichs préparés par Philippe.

Bruit de feuillage. Un piéton sort du bois et cache dans son dos un panier de champignons. Il est paysan et bavard. "Pourquoi vous faites ça?" Il désigne nos chaussures et mime le port du sac à dos. - On fait "ça" parce que si on ne l'avait pas fait, on ne se serait pas rencontrés... - C'est pas bête, ça... ça fait beaucoup de "ça" chez le brave homme. Satisfait de la réponse qu'il juge simple mais de bon sens, il déballe tout ce qu'il sait, ou croit savoir, sur la trappe. À propos du chiffre d'affaires, on murmure au village - pas lui, attention ! - que c'est l'un des plus importants de l'Ardèche. Le second après les cimenteries Untel. Il ne faut surtout pas le répéter, c'est ce qu'on raconte, pas lui, hein... "On raconte" aussi que le frère Régis, le supérieur est à tu et à toi avec les plus importants responsables politiques de l'Ardèche. Même qu'il surnomrne une huile régionale Jeannot !

Vaches de l'abbaye Notre-Dame-des-NeigesNotre agent de renseignements lâche d'autres confidences, d'autres on-dit vérifiés par la sœur du cousin ou par notre homme en personne... - Ne le répétez pas non plus, toutes les décisions politiques et économiques de la région, elles se prennent là-haut. Au village, les soirs d'hiver, certains ont vu des voitures officielles monter à Notre-Dame des Neiges. Seulement l'hiver, les soirs de neige ou de brouillard. Quand personne ne traîne dans les rues... À l'écouter, la trappe serait un Monopoly ardéchois. L'homme poursuit : - Moi, je les aime bien les frères mais en général, à La Bastide, ça jalouse sec. Les moines sont mal vus. Les gens n'aiment pas leur réussite tranquille. Les moines en souffrent peut-être un peu mais, après tout, ça les arrange qu'on leur fiche la paix. Avant de tourner les talons, par mégarde ou par confiance, il sort son panier de son dos et nous quitte sur ces mots : - Ils sont beaux mes ceps ?

Notre-Dame-des-Neiges... Dans les champs dégarnis et glacés qui entourent la trappe, une 4L tourne en tous sens comme une nuée de corbeaux. "Frère Zéphyrin, il est toujours sur les routes, autour de la trappe, vous verrez, c'est un homme fort aimable", a dit Philippe. Il vient dans notre direction. Nous faisons les présentations. Le moine au beau visage rose et aux yeux rieurs pose son fusil de chasse sur le siège du passager. Responsable de l'exploitation agricole, il s'occupe des vaches et des bois. Ce matin, il est à la recherche des traces fraîches de sangliers. - Ils sont venus cette nuit, ils commencent par manger un mulot, et puis toute la famille y passe. Le moine au visage rond comme les fesses de la lune est aussi un passionné de voitures de course. - Si je n'avais pas été moine, j'aurais été pilote. Pas forcément champion du monde, mais bon pilote. Quand une compétition automobile se prépare, il est inutile de chercher frère Zéphyrin. Il trouve toujours une bonne raison d'aller faire des courses en ville. Et puis à l'occasion, il descend boire une bière au gîte de L'Etoile, à condition qu'elle soit brassée par des trappistes cisterciens, confrérie oblige. Il nous dirige vers le bar de la trappe. - Frère Jean sera ravi de vous servir l'apéritif et de faire un peu de conversation.

Chemin Stevenson GR®70 Abbaye Notre Dame des Neiges ArdècheFrère Jean tient le comptoir, une bonne vingtaine de mètres. Il fait la promotion du Quineige, un apéritif élaboré et vendu par les moines. Le frère bistrotier officie tous les jours de l'année sans exception et n'a déserté la trappe qu'une fois en vingt ans. "Pour aller chez le toubi, sinon je n'ai pas le temps, il faut travailler d'arrache-pied, même la nuit parfois." Homme orchestre, il sert, sourit, surveille les entrées et les sorties de victuailles. Le bar ressemble à une caverne d'Ali Baba consacrée à dame Nourriture. On y vend des tonneaux de toutes tailles, des Vierges creuses - à remplir -, des carafons décorés, de la confiture de châtaignes, des confiseries régionales, du vin et des alcools !

Frère Jean porte ses quatre-vingts ans comme d'autres portent chance. Il doit mesurer un petit mètre cinquante et grimpe sur une vieille caisse de bois pour parvenir à hisser sa frimousse à hauteur de comptoir. Derrière lui, jambons d'Auvergne, saucissons monumentaux et fromages attendent en patience qu'on les décroche. Frère Jean est habitué à travailler et à soutenir la conversation. Ainsi qu'un guide, il raconte la vie des moines, l'histoire de la trappe et son fonctionnement...

À la fin du XIe siècle, Robert de Molesme et saint Bernard ont quitté les bénédictins de l'ordre de Cluny. Ils souhaitaient retrouver une foi plus rigoureuse et appliquer l'enseignement de saint Benoît. Les bénédictins partagent leur temps entre la prière et l'étude, nous autres cisterciens y ajoutons le travail physique... D'ailleurs, frère François-Régis, le supérieur, est absent ; il surveille la vendange à Bellegarde, entre Nîmes et Tarascon. C'est là qu'on achète notre raisin. On a confiance, bien sûr, mais il vaut mieux être sur place. On achète un beau merlot. Allez donc aux cuveries le goûter...

Bois de l'abbaye Notre-Dame-des-NeigesMalgré les nombreux visiteurs qui souhaitent passer commande, le moine prend son temps. Frère Jean ne se presse guère. Il soupèse un lourd saucisson de montagne et fait l'article à une petite dame ronde qui s'impatiente. Une cohorte de touristes attend leur tour. Pendant qu'il officie, le frère épicier continue son exposé. La première trappe a été réduite en cendres en 1912. Aujourd'hui, trente-cinq moines vivent dans la montagne et le silence selon les règles édictées par saint Benoît. Prière et travail. "C'est alors qu'ils seront vraiment moines s'ils vivent du travail de leurs mains", a dit le saint.

Les moines prient quatre heures par jour, de l'office de seize heures trente à celui de vingt et une heures... Aujourd'hui beaucoup de jeunes gens sont tentés par un isolement temporaire ou définitif, pour rassembler les morceaux du puzzle. Ainsi ce randonneur arrivé sac au dos qui, après une courte retraite, n'est jamais reparti. Ici on peut vivre en retrait du grand spectacle et, dans le même temps, entreprendre un voyage spirituel et personnel à l'intérieur de soi. Au milieu de la forêt et au cœur du monde, comme saint François.

À mieux observer, ce sont deux trappes qui s'accrochent à la montagne. La première pour les moines, les religieux invités et les retraitants laïques, la seconde pour le touriste, grand consommateur de saintes cochonnailles, de chapelets et de ronds de serviettes à l'effigie de Charles de Foucauld - qui séjourna ici en 1890, avant de mourir dans le désert du Sahara en 1916. À la trappe, le visiteur peut prier et consommer en paix. Les frères de la montagne acceptent toutes les cartes magnétiques.

Comme celle de tous les moines cisterciens, la journée du moine ardéchois débute par le réveil, à quatre heures, suivi de l'office où les psaumes sont chantés. De cinq à sept heures, la méditation et la lecture personnelle occupent le moine. À sept heures viennent les laudes à la gloire de la Création, l'Eucharistie - toujours d'une grande sobriété. Pendant le reste de la matinée, les moines exercent leurs activités professionnelles, selon les règles édictées par saint Benoît... Cuisine, couture, travaux de la ferme, apiculture, travail du vin. Le repas de midi est pris en silence, et l'après-midi est de nouveau consacrée aux activités manuelles, puis vers dix-huit heures trente, on célèbre les vêpres dans le silence et le recueillement. Après un frugal souper, les moines assistent aux complies, dernière cérémonie de la journée adressée au Père céleste et à Marie. Tous se retirent ensuite dans les cellules pour le repos de la nuit. Saint Benoît invite les moines à la contemplation pour mieux vaincre l'agitation du monde extérieur.

Domaine de l'abbaye Notre-Dame-des-NeigesFrère Jean raconte avec au fond du regard une lueur de grâce et de pardon. On nous a confié - beaucoup de "on" dans les montagnes ardéchoises - qu'il tient sa bonne humeur, son flegme monacal ou son optimisme divin d'un autre passage en cellule, celle de l'horreur cette fois. Il fut "résident" à Auschwitz et promit d'entrer en religion s'il sortait du cauchemar. Le frère miraculé, au visage marqué par la souffrance, au regard ardent comme le buisson biblique, est un mélange de gueux magnifique gravé par Jacques Callot et de victime dessinée à l'encre par Zoran Music dans les camps de l'abominable. En quittant le garde-manger géant, le frère qui nous écrase la main sourit, une nouvelle fois.

Après avoir attaché Noé, longue promenade au sein de la trappe. Les longs bâtiments austères, le silence et le ciel bleu apaisent le visiteur et le forcent à l'inclination. Au sommet d'une montagne, dans ce qui pourrait presque ressembler à un domaine fortifié, aucune architecture tapageuse, seul un clocher dépasse. Les moines croisés sourient et saluent en silence.

À la boutique, on multiplie le petit commerce en proposant aux visiteurs des épinglettes, dérisoires morceaux de métal peints que le chaland coincera sur le rebord de sa veste, des assiettes décorées, des bâtons vernis pour qui se sent des ailes de pèlerin et force ouvrages consacrés à l'ordre. Aucune trace de l'écossais, je le précise car un couple d'Anglais tient absolument à ramener un souvenir - "vous comprenez, nous sommes venus exprès de Londres, nous refaisons le voyage de Stevenson en coupé Jaguar..." Dans le silence monacal, on croit entendre la douce musique du tiroir-caisse.

L'Etoile Maison d'hôtesA la cuverie, les vins vieillissent en foudre de chêne. Les moines de l'abbaye Notre Dame des Neiges en Ardèche achètent le raisin, vinifient et surveillent l'élevage. Nous dégustons sur-le-champs - enfin, sur le tonneau - un merlot simple, franc et charnu, un vin de pays rocailleux comme les vignerons qui l'enfantent. Pour l'élevage et la vente, les moines emploient du personnel en extra - du technicien viticole au mécanicien, de l'ouvrier agricole au menuisier, contribuant ainsi à faire reculer les chiffres du chômage local.

Dans le silence des voûtes de tuf, les touristes tendent les cubiteneurs et les employés s'activent au pied des cuves en Inox comme dans une station-service sur l'autoroute du soleil. Les longs couloirs hébergent les foudres géants et les vins bénis. Amen ! Le clou de la production, c'est la Fleur des neiges, un mousseux dont le poète Kenneth White se régalait quelquefois, lorsqu'il vivait et méditait à Gourgounel, sa retraite à quelques lieues d'ici.

À la scierie, frère " bougon " supervise les coupes. Philippe Papadimitriou, le Grec de L'Etoile s'apprête à charger les quelques bouts de sapins qu'il a négociés pour l'imposante cheminée du gîte. Le temps d'un coup de main, nous devenons bûcherons selon la règle monacale. Prière et travail; la prière viendra plus tard.

La Felgière de l'abbaye Notre-Dame-des-NeigesL'hébergement à la trappe est complet, il faudra nous contenter de la forêt. On nous indique le mas de Félgière, une ancienne maison de prière et de charité restée debout après la Révolution. " Après les derniers bâtiments, c'est tout droit, suivez les genêts... Faites des provisions chez frère Jean et allez vous allonger dans l'herbe. " Marche lente avec Noée qui hésite toujours autant à poser ses délicats sabots dans les eaux de pluie. Le jour décroît sur les cèdres et les pins, les bleus du ciel laissent place aux premières lueurs orangées et flamboyantes du crépuscule. Un faisan sauvage apparaît. De longues secondes face à face. Le faisan s'envole. Verrons-nous, cette nuit, la chouette chevêche aux ailes courtes et aux yeux ronds dont mon grand-père m'a appris l'existence ? Comment la reconnaître ? Si j'entends un hululement, ce sera une chouette chevêche. Rien de plus simple.

Le 26 septembre 1878, après quatre ou cinq jours de marche, d'égarements et de négociations avec Modestine, Robert Louis Stevenson fait halte à la trappe. Il s'en approche, animé d'une angoisse sincère. Fils de presbytérien écossais, il ignore et redoute l'accueil qui lui sera réservé dans l'enclos catholique. Frère Apollinaire, brouette à la main, se flatte de rencontrer son premier Écossais. Les autres moines accourent...
Robert Louis StevensonLes frères portiers, hospitaliers et enfin le frère prieur qui reçoit Stevenson. Durant son séjour, ce dernier observe la vie des moines en savant entomologiste et compare le monastère à ses propres expériences de communautés - vouées plus au culte du vin, des femmes et de la révolution qu'à la prière.

Le supérieur, père Michel, offre au nouvel arrivant l'apéritif et le repas du soir. À table, l'écrivain rencontre un curé de campagne et un militaire en retraite qui font preuve d'intolérance vis-à-vis des autres cultes. Tout en menaçant le voyageur écossais des enfers et en condamnant avec vigueur le protestantisme - " c'est une secte, ni plus ni moins " -, ils cherchent à le convertir. Stevenson se fâche un peu, mais conserve une politesse tout écossaise. Il défend la religion de sa mère et de son enfance, puis abandonne les deux dévots à leur foi sectaire. Sur l'invitation d'un frère irlandais, il visite la bibliothèque où Chateaubriand, Hugo et le coquin Molière côtoient les textes fondateurs et sacrés. Puis, le soir, il se retrouve en cellule, seul. Stevenson questionne sa propre foi qu'il tente de déguiser au mieux. Il redoute le silence, la solitude, et compare les moines à des morts vivants. Aussi note-t-il dans son voyage une chanson française et guillerette pour mieux maquiller ses états d'âme... Les doutes viendront plus tard.

Que t'as de belles filles,
Giroflée,
Girofla !
Que t'as de belles filles,
L'amour les comptera !

Notre-Dame-des-NeigesDerrière la chanson et le livre qu'il destine au public, un Stevenson fiévreux et mal connu s'épanche sans fard. C'est l'autre Stevenson, celui du Journal et de l'âpre route. Un pèlerin qui s'ignore et doute dans le silence du Vivarais. Un pélerin fébrile en quête d'amour, de foi, qui cherche à taire son humeur mystique. Stevenson écrit une Prière aux amis qu'il ne fera pas figurer dans le livre. Avant, il a pris soin de préciser qu'un voyage est, au mieux, un morceau d'autobiographie.

Toi qui nous as donné l'amour pour la femme et l'amitié pour l'homme, maintiens vivant en nous le sentiment de la communion et de la tendresse durable; fais que nous oubliions les offenses et nous souvenions des services rendus; protège ceux que nous aimons en toutes choses et accompagne-les avec bonté, afin qu'ils mènent une vie simple et sans souffrance et qu'ils meurent enfin en repos et l'esprit apaisé.

NDNÀ Notre-Dame-des-Neiges, au coeur du monde et loin du monde, un jeune homme s'endort. Les chimères enfantines - les récits tourmentés, les cauchemars et les vieilles légendes - se raniment. Un jeune homme en proie aux hésitations, aux tremblements intérieurs et à la piété s'endort au coeur du monde et loin du monde. Derrière les émotions qu'il cherche à faire disparaître, les questions qui attendent réponses - toujours les mêmes - surgissent ainsi qu'un spectre.

Stevenson a des comptes à régler avec l'Écosse, qu'il va quitter à jamais, sans tout à fait la quitter : Écosse de l'enfance, de la formation spirituelle et des démons; Écosse des souffrances et de l'éducation austère; Écosse affective des premières marches sur la lande, des faubourgs et des villes noires. Il a d'autres comptes à régler avec la famille car, en choisissant d'aimer Fanny, il s'est opposé à son père. Ce père presbytérien, intraitable, qui exerce sur l'enfant un joug pécuniaire et moral. Et derrière le père, l'Angleterre et le milieu littéraire qui déteste les vagues, du moins ceux qui en font... Stevenson va se révolter et la révolte fera naître l'écrivain...

Lorsqu'il crée, durant l'adolescence, avec le cousin Bob et d'autres agitateurs de leurs amis, une petite société à caractère secret et provocateur, l'un des premiers articles est rejet de tout ce que les parents ont pu enseigner. Mot d'ordre qui se passe de commentaire.

Fanny Van de Grift épouse de StevensonStevenson a aussi des comptes à régler avec la foi et ses doutes, un mélange sournois de résurgence religieuse - son premier texte, publié à compte d'auteur par son père, n'aborde-t-il pas la révolte des puritains écossais ? - et d'athéisme, voire d'anticléricalisme. Enfin, il y a Fanny, toujours Fanny, sujet du voyage et (dé)raison maîtresse. Elle est derrière chacun des mots, chacun de ses pas souples, chacune de ses pensées. Fanny, son aînée de dix ans, à la fois femme, mère et père. Fanny, l'aventurière qui fait fi des conventions et le coach littéraire. Fanny, la femme à venir. Avenir.

Allongé dans mon sac de couchage, au coin du feu dans une grange sombre, je relis et compare les textes. Dans le journal de route, Stevenson s'épanche et s'abandonne aux émois francs. Dans le Voyage, il modère sa foi hésitante et retrouve un ton carabin. Il rature, biffe ses expériences personnelles. Quiconque souhaite voyager avec Stevenson en Cévennes doit se munir du Journal de route pour découvrir l'autre versant. Le mystère Hyde. La signification secrète, comme il l'a écrit dans sa préface. Là seulement l'homme se livre. L'édition définitive, réécrite, fait la part belle à l'écrivain qui fait le beau, et ce Journal de route est un sismographe de l'esprit. De retour à l'abri, devant un bureau, Stevenson est intervenu sur le sismographe, a tempéré ses réflexions à chaud, s'est censuré. par Eric Poindron. Belles étoiles. Avec Stevenson dans les Cévennes. Editeur: Flammarion. Collection: Gulliver.

 

L'Etoile à La Bastide-Puylaurent en Lozère

Ancien hôtel de villégiature avec un jardin au bord de l'Allier, L'Etoile Maison d'hôtes se situe à La Bastide-Puylaurent entre la Lozère, l'Ardèche et les Cévennes dans les montagnes du Sud de la France. Au croisement des GR®7, GR®70 Chemin Stevenson, GR®72, GR®700 Voie Régordane, GR®470 Sources et Gorges de l'Allier, GRP® Cévenol, Montagne Ardéchoise, Margeride. De nombreux itinéraires en boucle pour des randonnées et des sorties à vélo d'une journée. Idéal pour un séjour de détente et de randonnée.

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