A vélo le long de la vallée de la Borne

La descente vers Pied-de-Borne, longue de vingt-deux kilomètres, promettait une échappée belle sous le soleil clément. Ce jour-là, notre trio était animé par l’excitation de dévaler les pentes, portés par la brise légère et la vue sinueuse de la vallée de la Borne. Philippe, avec sa silhouette élancée, s’est élancé le premier depuis La Bastide-Puylaurent, semblant dompter son vélo. Kathy et moi, nous nous sommes lancés à sa poursuite, non pour rivaliser, mais pour savourer une escapade paisible à travers les paysages pittoresques des Cévennes. L’aventure se voulait ludique et sans pression.

Contre toute attente, Philippe a tempéré son ardeur, renonçant à la course effrénée pour nous rejoindre plus tard, en bas de la montagne. Ensemble, nous avons flâné le long de ruisselets chantants, échangé avec des bergers veillant sur leurs troupeaux près de bories de pierres. Ces instants précieux, gravés dans nos mémoires, se déroulent encore et encore, tels des films intemporels.

Notre présence en ce lieu relevait de l’improbable, fruit d’une série d’événements fortuits. Philippe, gérant d’une maison d'hôtes dans un ancien hôtel de villégiature, profitait de ses mois de congé pour s’adonner aux voyages. Son anglais impeccable, héritage de son passé, et son goût pour l’aventure l’avaient conduit à nous.

Un an auparavant, il avait imaginé un projet audacieux : utiliser Internet pour tisser un réseau d’hébergements à travers le monde. Par mail, il proposait un échange de séjours. Notre réponse enthousiaste à son invitation a été le prélude à une amitié précieuse. Ainsi, les rouages du destin se sont mis en place, menant à cette journée ensoleillée, à cette balade mémorable.

Une pause s’impose… À peine une heure de pédalage et déjà, un café se dessine au détour d’un virage. Un repas léger, un verre de vin, et la conversation s’engage naturellement. Autour d’une table intime, Philippe se confie sur son passé.

Glissant sur l’asphalte, le paysage idyllique défilant, je songe à Robert Louis Stevenson qui, en 1878, parcourait ces mêmes contrées avec son âne. Son récit, “Voyage avec un âne dans les Cévennes”, témoigne de son périple. À flanc de coteau, des vignobles s’accrochent en équilibristes, tandis que des hameaux de pierre, coiffés de tuiles rouges, se blottissent contre les montagnes. Des abbayes, telles “Notre Dame des Neiges”, se dressent fièrement sur les sommets environnants.

En été, la région bourdonne de randonneurs venus de toute l’Europe, parcourant les sentiers escarpés pour rejoindre les gîtes disséminés à une journée de marche. Chaque soir, ils sont accueillis par un festin convivial, une nuit réparatrice, avant de repartir vers de nouveaux horizons montagneux.

La descente enchanteresse de la vallée de Borne se démarque par son inclinaison constante. Sans pédalage, juste un freinage sporadique pour modérer notre allure. Ce jour-là, je me suis abandonné au pur plaisir des virages en descente. C’était une révélation éphémère, une appréciation fugace pour la splendeur du jour qui s’annonçait. Une pensée m’a traversé l’esprit : ma vie, jusqu’à ce point, semblait orchestrée pour m’offrir cette journée, sur cette route, avec ma compagne et cet ami. Nos chemins, parsemés de croisements, convergeaient enfin vers cette unique voie menant à Pied-de-Borne.

Nous avons dévalé la pente, croisant des hameaux de pierre où la vie s’écoule simplement. Les habitants y trouvent leur subsistance, élèvent leurs enfants et s’interrogent peu sur leur condition. Peu d’entre eux ont probablement exploré au-delà, jusqu’à Paris. Ils se marient, choisissant un partenaire juste assez éloigné, et s’installent dans les demeures ancestrales. Pour eux, la vie est plus simple, moins de bifurcations, moins de choix à faire.

C’est dans le crépuscule de l’après-midi que nous atteignons la ville bordant le lac, marquant la fin de notre périple à vélo. Une fois de plus, nous nous retrouvons autour d’une table de bistrot, commandant nourriture, vin et café. Nous partageons un sentiment de gratitude mutuelle pour l’expérience vécue. Nous goûtons à la satisfaction, à la fraternité. Bientôt, nous retournerons, avec nos vélos, au gîte de Philippe, nichée dans le petit village de La Bastide-Puylaurent. Mais pour l’instant, le temps est à la détente et à la discussion.

J’ai interrogé Philippe sur son aventure américaine de jeunesse. À dix-huit ans, lui et son frère, ne parlant guère anglais, se sont envolés pour New York et ont parcouru le pays jusqu’en Californie. L’appel de l’or californien les avait séduits. Ils avaient économisé pour les billets et s’étaient lancés dans l’aventure. “C’était audacieux pour des jeunes de votre âge”, ai-je remarqué. “Mais tu sais, Tom, je ne choisis pas, c’est la vie qui choisit”, a-t-il répliqué. “Et maintenant, quels sont les plans de la vie pour toi ?” “Je ne sais pas encore. Le gîte est devenu trop routinier : j’ai besoin de mouvement.” Philippe contemplait le lac, pensif. “Nous avons tous une vocation, mais laquelle… c’est la grande question.”

La route s’étirant depuis La Bastide-Puylaurent demeure inchangée. Mais d’autres chemins se sont ouverts, s’enroulant vers des horizons lointains et inexplorés. Nous avons partagé d’autres moments avec Philippe lorsqu’il est revenu nous visiter dans les Ozarks, deux ans plus tard. Lors de ces visites, il nous régale toujours d’un repas français exquis. Nos discussions s’étendent, abordant philosophie, art de vivre et condition humaine. Nous pagayons sur la rivière, coupons du bois, planifions nos projets. Philippe révèle souvent son côté facétieux. By Tom Corey

Extrait de "Un endroit très ensoleillé". Le livre peut être obtenu à l'adresse Web suivante : https://www.lulu.com/spotlight/rockeddy

Visitez nos deux sites Internet :
Chez Philippe en France : https://www.etoile.fr
Tom & Kathy's dans le Missouri (USA) : https://www.rockeddy.com (Carte)