Revoir encore et toujours les Cévennes |
Quelle autre région offre-t-elle au voyageur autant de beautés naturelles, autant de leçons de l'Histoire, et autant de chances de paix. André Chamson
Départ et Q.G. à La Bastide-Puylaurent (1016 m). La maison d'hôtes de L'Etoile se trouve vraiment à la croisée des sentiers et Philippe Papadimitriou y réserve toujours un accueil vraiment cordial. La bourgade somnole sur les rives de l'Allier quand nous la quittons au long des balises des GR®7 et GR®72. A l'Est, elles gagnent l'abbaye Notre Dame des Neiges. Mais nous passerons au large, réservant cette visite pour le retour ; nous quittons donc rapidement les marques blanc et rouge et grimpons rudement vers le sommet de la Felgère (1225 m). belvédère et coup d'oeil vers Luc, proche destination. à l'Ouest et au Sud, on découvre le relief des étapes suivantes. Perspectives excitantes.
Notre chemin forestier file vers l'Est et suit quasiment la crête jusqu'à un véritable carrefour de sentiers. Nouvel aperçu sur notre futur : les dernières étapes à travers les reliefs de la montagne Ardéchoise. ça nous promet quelques bonnes suées et bien du plaisir. Nous voilà maintenant sur le Tour du Tanargue, dont nous suivons les balises jaune et rouge. Parcours forestier encore qui caracole sous la hêtraie du Moure de Manibles avant de dévaler vers Laveyrune. On y rencontre le GR®70, le Chemin de Stevenson, suivi à rebours jusqu'à l'étape.
Petit tronçon asphalté à travers le village et sur la D.906, qui sinue au bord de l'Allier. On la quitte rapidement pour grimper vers Luc. accroché au versant de la Vallée , le petit village ne manque pas d'intérêt : une belle église romane au coeur du hameau et, sur la crête de la colline, les ruines du château médiéval que surplombe une monumentale statue de la Vierge. C'est là qu'on casse la croûte, sur la terrasse ensoleillée en surplomb de l'Allier.
En guise de dessert, une à bavante à sur la sente rocailleuse pour se hisser jusqu'au plateau. On peut bientôt s'offrir une tranquille digestion dans la solitude de la forêt de Gardille, sur les rives d'un charmant petit lac. Et en route pour boucler cette étape initiale. On frôle Les Pradels (alors que de noires nuées s'amoncellent) et puis on dépasse le profond vallon du Langouyrou : rapide dévalée vers le ruisseau et rude grimpée pour à sauter à la dernière colline. On y écorne le sentier vraiment trop capricieux ; bien vu : nous atteignons le très chouette gîte de Cheylard-l'Evêque juste avant que l'orage ne se déchaîne. Des émules de Stevenson n'auront pas cette chance et arriveront sous le déluge. Etape de 25 km.
Les brumes d'un ciel de traîne flottent sur la crête des collines ; un soleil encore timide y pointe le bout du nez : l'orage de la veille n'est plus qu'un souvenir. Peut-on jamais se lasser de ces départs matinaux, baignés de fraîcheur et riches de promesses ? On démarre alors guillerets, gourmands de paysages...
Cette étape annonce une longue balade forestière et vallonnée par-delà le Moure de la Gardille et la Montagne du Goulet. Des dénivelées donc, et sans doute de larges horizons.
On démarre avec une ascension commode et plaisante : longue grimpée en pente douce, progressive, à travers la solitude silencieuse de la vaste forêt de Mercoire. On y suit le sentier de la Vallée et des Gorges de l'Allier. Ses balises sont plus que discrêtes ? Qu'importe, l'itinéraire ne pose pas de problème pour gagner la lande de bruyères qui encercle les alentours du Moure de la Gardille (1503 m) : il voisine avec les sources de l'Allier et du Chassezac et fait un peu figure de château d'eau.
Là, on rejoint le GR®7, dont les balises vont nous mener à l'étape. Longue descente maintenant pour s'en aller, au sortir de la forêt, traverser la large plaine étalée sur les rives du Chassezac.
Juste au-delà des Chazeaux, le gros morceau de la journée, c'est la grimpée de la montagne du Goulet. La dernière rampe surtout est raide pour franchir l'échine tout à côté du sommet (1497 m). On y casse aussi la croûte dans la quiétude forestière. Après la solide matinée, l'après-midi offre une tranquille balade sur le versant méridional du Goulet. On redescend paisiblement à travers le sous-bois, où septembre flétrit les épilobes. Droit devant se dresse le massif du Lozère. C'est là qu'on vagabondera les prochains jours. Aujourd'hui, on dévale dans la Vallée du Lot, tout jeunet, pour gagner le Bleymard. C'est mon troisième passage dans le coin ; et chaque fois, les vieilles demeures du bourg se font plus riantes. Etape de 26 km.
Il reste tant et tant de régions inexplorées, tant et tant de sentiers inconnus. Et pourtant je ne me lasse pas de vagabonder à travers le Massif Central, de retourner vers les espaces désertiques du Mont Lozère, d'explorer drailles et sentes qui sillonnent les collines Cévenoles. Et me reviennent les fameux vers de Lamartine, qui s'interrogeait sur son indéfectible attachement à Milly : à Objets inanimés, avez-vous donc une âme. Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? à
Des explications objectives ? Oui, sans doute : splendeur des paysages ; solitude de ces vastes espaces, isolement des bourgades. Mais ne peut-on pas en dire tout autant du Lubéron, de la montagne de Lure, voire des monts d'Arrée. ? Alors ? l'essentiel serait donc ailleurs, dans des liens privilégiés, des affinités mystérieuses avec certains lieux particulièrement chers. Ce coin de France me semble rester vraiment lui-même, sauvegarder son âme austère. résister, ne serait-ce pas la nature profonde des Cévenols ? Résistance séculaire pour façonner une terre ingrate et y survivre; résistance farouche aux dragons de Louis XV ; à l'occupant nazi ; à l'uniformisation du modernisme. Mais c'est André Chamson, peut-être, qui fournit un élément de réponse quand il écrit, dans à l'Esprit des Cévennes à : à . Plus que les beautés de la nature, plus que les terribles leçons de l'Histoire, ce qui s'offre à nous dans ces vallées et dans ces vallons, sur ces pentes ou sur les sommets de ces montagnes, c'est une qualité de silence, une chance de paix comme on n'en trouve presque plus jamais dans le monde où nous devons vivre. l'esprit des Cévennes ? c'est, peut-être, la conquête de cette sérénité de l'âme, à travers les tumultes de la Nature et de l'Histoire à .
Quoi qu'il en soit, c'est un fait, j'éprouve un attachement singulier pour les hautes terres arides des Causses et celles qui ceinturent le massif du Mt Lozère : rude plateau granitique, labyrinthe de vallées, îlots des hameaux aux creux de l'infinie ondulation des serres. Je les ai parcourues en avril, quand l'hiver jette ses dernières colères ; et je me souviens d'un réveil inattendu à Barre des Cévennes, enseveli sous un manteau de neige. J'ai aussi admiré l'éclat printanier des genêts et la splendeur des tapis de narcisses. Je suis enfin retourné y découvrir le déclin de l'été ; alors l'automne pointe le bout du nez et colore d'or les châtaigniers.
Aujourd’ hui, on débute nos vagabondages dans le massif du Mont Lozère. Une petite journée suffit pour une traversée Nord-Sud. Mais pour l’avoir déjà réalisée, on souhaite parcourir et découvrir plus à loisir cette montagne largement étalée d’ Est en Ouest.
Ce matin, nous l’abordons par une approche circulaire: avec les GR®44 et GR®68, nous caracolons dans les contreforts qui bossellent la rive gauche du Lot. Les rares hameaux s’y amenuisent. Orcières, Lozerette… Et puis on traverse un ravin, profond et sauvage, pour atteindre Oultet, accroché à la crête de la falaise: quelques robustes maisons aux toits de lauzes autour du «clocher de tourmente». Il ne fait pas bon se perdre dans le massif par temps de brouillard ou de neige: alors la cloche des hameaux hèle les égarés.
Auriac aussi est un de ces lieux de refuge. Au creux d’un vallon solitaire, une poignée de bâtisses restaurées enserrent la petite tour et son unique cloche. Au sortir de ce hameau perdu, on pique au Sud. On «pique»? Mais avec lenteur car on amorce une longue grimpée dans le massif. Et d’ailleurs on fait déjà la pause casse-croûte au carrefour des Sagnoles.
Alors la forêt se raréfie et l’on découvre la lande du Mt Lozère: dans ce royaume du vent, les arbres rapetissent leurs silhouettes noueuses et tordues. Le granite se partage l’espace avec la pelouse herbeuse, la bruyère et les myrtilliers. Le déclin de l’été y compose une palette impressionniste où se mêlent les teintes minérales des rocs colorés de lichens, la rousseur de l’herbe et les chaudes nuances rouille, rouge et mauve des buissons rampants.
Juste passé le serre des Contrats (anciennement Countrasts), on pousse jusqu’au roc des Chiens fous. Ce chaos granitique domine la dépression où l’étang de Barrandon attire pêcheurs et promeneurs. Une oasis touristique dans le désert. On quitte alors le fil blanc et rouge et l’on se détourne vers la croix de Maître Vidal.
Ces trois lieux-dits s’inscrivent dans la mythologie de la draille au temps où, chaque été, les troupeaux de moutons colonisaient le Mont Lozère. C’est sur le Serre des Contrats que s’installait le notaire de Bagnols les Bains pour établir les contrats destinés à répartir les pâturages entre les transhumants.
Maître Vidal était l’un des plus gros éleveurs de moutons. Chaque estive le voyait séjourner sur le Mt Lozère si bien qu’il s’éprit d’une jolie fille d’un hameau voisin et lui fit une cour assidue. À la fin de la bonne saison, il s’attarda dangereusement dans les parages malgré les avertissements de ses bergers… et de ses bêtes. Le mauvais temps l’y surprit et il périt dans une terrible tempête de neige. Ses chiens trouvèrent refuge dans l’amoncellement des rocs de granite et survécurent à l’hiver. Mais la faim les rendit fous. «Lorsque fleurirent blanc les merisiers dans les bois de La Loubière, une jeune femme des Sagnes prit les habits noirs d’une veuve et les garda jusqu’à la fin de sa vie.
La fin d’étape nous conduit au versant méridional du massif. Peu après la croix commémorant la fin tragique du maître berger transi d’amour, on emprunte un bon empierré qui écorne un bout de forêt et mène au hameau des Laubies. Une vieille église, une auberge très confortable et une poignée de maisons abritées au pied d’un éboulis de granite. Sur la terrasse de l’auberge, on goûte l’apéro et le paysage: il embrasse le plateau pastoral, la pyramide du Cham des Bondons et les falaises du Causse Méjean. Etape d’environ 23 km.
4ème étape: Les Laubies – Le-Pont-de-Montvert
Le beau temps se maintient; c’est l’été indien dans sa splendeur et son agrément. L’été n’a pas été bien généreux en Belgique: on jouit d’autant plus d’un petit
matin radieux. On reprend donc le chemin, tout guillerets, pour aller caracoler sur les crêtes du Mont-Lozère.
Au sortir des Laubies, on regrimpe donc le versant méridional du massif. Brève traversée forestière et on atteint la route des Chômeurs au pied du roc des Laubies (1562 m). On sinue ainsi à travers les hauts pâturages dans la seule compagnie de vaches rousses et du vent. On marche sous l’azur alors qu’une mer de brouillard noie la vallée du Tarn.
Et bientôt on quitte les sinuosités du chemin pastoral pour couper à travers champs vers le signal des Laubies (1657 m). On y trouve une trace, une sente jalonnée de modestes cairns; avec elle, on vallonne de croupe en croupe, à travers les ondulations de la montagne: c’est un parcours très plaisant sur l’échine bosselée du massif. Je bénis les dieux du Mont Lozère qui m’y ont toujours gratifié de ce ciel azuréen.
Le sommet de Finiels (1699 m) est le point culminant du massif: ce belvédère naturel domine l’inextricable entrelacs des vallées et des crêtes qui dessinent la physionomie tourmentée de la Lozère. Pas étonnant que ce département soit le moins peuplé de France; pas étonnant non plus que ce désert soit un paradis pour les randonneurs !
On quitte cette croupe rocailleuse à l’herbe rase pour redescendre le versant méridional avec les balises du GR®70, le Sentier de Stevenson. Passé la bande forestière de résineux et de bouquets de feuillus malingres, on découvre un univers minéral. Finiels est à quelques enjambées; mais le paysage est étonnamment rude et sauvage, écrasé de chaleur. On casse la croûte en bordure du hameau, au cœur d’un chaos de granite. Blocs roulés, erratiques, vestiges de quelle monstrueuse érosion?
Le sentier pique carrément au Sud. Il se faufile entre de maigres pâturages où les vaches s’égaillent parmi les rocs. On saute le ruisseau de Rieumalet et puis on s’enfonce dans son ravin, dont on goûte la fraîcheur. Rien ne presse: l’après-midi est radieuse et le terme tout proche. Il ne nous reste d’ailleurs plus qu’à dévaler jusqu’au Pont-de-Montvert, niché sur les rives du Tarn. Déjà assoupie, la bourgade semble entamer sa longue hibernation.
Au Pont-de-Montvert, nous voici vraiment en terre protestante. Le temple l’atteste : architecture austère comme l’âme cévenole; noblesse de la chaire sculptée dans le bois, comme la spiritualité des Camisards. Ni les dragons du roi ni ses galères n’ont pu extirper la religion réformée de ces collines. La bourgade a été le berceau de cette guerre des Camisards qui a ensanglanté et incendié les Cévennes tout au début du XVIIIe siècle.
C’est ici qu’une poignée de protestants, guidés par Pierre, surnommé «Esprit», Séguier assassinèrent l’abbé du Chayla, animateur de la lutte contre la foi réformée. Mais les troupes royales eurent vite fait de capturer le meneur de la bande. Justice expéditive: Pierre Séguier est jugé à Florac et exécuté au Pont-de-Montvert au pied de la Tour de l’Horloge. Elle, elle a toujours fière allure auprès du vieux pont. Etape d’environ 21 km.
5ème étape : Le Pont-de-Montvert – Villefort
Voilà une longue et très belle étape, un des sommets de la randonnée. Elle débute pourtant par un tronçon d’asphalte. Mais la petite route est tranquille et
le voisinage du Tarn agrémente cette paisible mise en jambes matinale. D’ailleurs, on quitte bientôt la D.998 pour grimper vers le Merlet. Nous revoici sur les sentiers caillouteux du Mt Lozère. À Felgerolles, on trouve les balises du GR®72 pour entamer une ascension rocailleuse à
travers un chaos granitique. Décor rude et sauvage.
Sur la rive du Tarn, le paysage s’ouvre progressivement sur l’étendue désertique du versant méridional. Vagabondage tranquille au bord de la rivière, elle aussi apaisée : je l’ai côtoyée au printemps, fougueuse et torrentueuse ; aujourd’hui, les chaleurs estivales ont calmé ses ardeurs. Mais le site du Pont du Tarn garde tout son charme. Les belles arches romanes du vieux pont moutonnier enjambent les eaux cristallines semées de blocs granitiques. Et j’imagine que, sur cette draille du Languedoc, les transhumants, eux aussi, devaient goûter la quiétude d’une halte sous les pins qui ombragent la rive.
Et l’on poursuit vers l’Est Le GR®72 écorne la forêt, mais regagne bien vite la lande caillouteuse où sourdent les sources du Tarn. Le hameau de Bellecoste y fait peine à voir : pitoyable agonie de ces robustes bâtisses de granite. Le massif du Lozère retourne au désert. Mêmes les troupeaux transhumants y renoncent. Alors ?… Un jeune couple pourtant s’active à restaurer l’une d’elles. À quelle fin sinon d’y trouver la solitude d’une résidence occasionnelle ? Mais vraiment « une hirondelle ne fait pas le printemps » ! Le chemin carrossable sinue en contrebas du Pic Cassini (1680 m), le second sommet du massif. On y retrouve la forêt peu avant d’atteindre le Mas de la Barque (1420 m).
Le gîte d’étape campe au cœur d’une agréable clairière, généreusement ensoleillée. Il fait bon y déguster une blonde mousseuse. Et les sandwiches, généreux aussi, sont savoureux.
L’après-midi s’annonce « cool » : le topo-guide affiche 11 km jusque Villefort (Voie RégordaneGR®700 ou Chemin de St Gilles), tout au fond, dans la vallée. 800 m à dévaler. Ah, se méfier des appréciations hâtives ! C’est vrai, on descend bien dans la forêt et on y tournicote à y perdre le nord. Mais on remonte aussi quelquefois comme sur cette arête rocheuse qui mène au Bousquillou (1115 m).
Et là enfin, on quitte le couvert du sous-bois pour retrouver de larges horizons. Et lesquels ! À l’Ouest, le Mt Lozère abaisse sa longue échine aux maigres hameaux. À l’Est, la montagne ardéchoise expose son relief déchiqueté : on ne risque pas de s’ennuyer les prochains jours. Allons, on en a vu d’autres. Goûtons le plaisir de parcourir la crête panoramique du Plo de la Voulp avant de plonger, enfin, vers Villefort.
La nuit n’y sera pas de tout repos : le lendemain, dimanche, la bourgade organise un brevet de randonneurs. Le gîte est plein comme un œuf de joyeux marcheurs qui fêtent leur exploit… à l’avance.
Etape de 27 km.
Cette journée constitue une étape de transition entre le massif du Lozère et les Cévennes vivaraises. Et d’ailleurs une partie de la matinée n’aura d’autres attraits que la quiétude des collines forestières après la promiscuité du gîte. Dès la sortie de Villefort, en effet, le GR®44 grimpe dans la forêt et s’y attarde sans offrir la moindre échappée vers les vallées, qu’on devine à peine de part et d’autre de la crête.
Soyons justes, on y trouve l’ombre et la fraîcheur du sous-bois, car le soleil est encore généreux. Qui s’en plaindrait ? Les indigènes pardi, accablés par de longs mois de sécheresse !
La matinée est déjà bien entamée quand on quitte le couvert à la Croix de la Rousse pour aborder l’arête rocailleuse du Serre de barre. La marche y devient chaotique : on crapahute sur la crête schisteuse, dentelée comme celle d’un coq et broussailleuse en diable. À croire qu’on y a pris le maquis.
Mais quel paysage, cette fois !
À main droite, les serres cévenols ondulent indéfiniment vers l’Aigoual ; à l’Est, on survole le plateau ardéchois jusqu’à l’horizon bleuté où pointe le Ventoux. Fameux belvédère qui permet d’embrasser un si vaste horizon ! On s’offre donc un casse-croûte panoramique.
À l’éperon méridional du Serre de Barre, on entame une longue, longue descente. Le vieux sentier rocailleux, bordé de murets quelquefois, dégringole à travers les arbustes et buissons du versant. Répit d’un bout de route ; et on replonge vers Brahic. Le hameau est assoupi dans une sieste dominicale. La fontaine est bien venue et on se réfugie un moment dans la pénombre rafraîchissante de la vieille église au clocher à peigne.
300 m. encore à dévaler dans la caillasse pour atteindre Les Vans (GR®4, GR®44 et Le Cévenol). Vignobles au pied des coteaux, platanes au long des rues : nous voici bien dans
le Midi. La bourgade méridionale goûte cette fin de week-end aux terrasses. On a l’air un peu « maso » à trimbaler notre barda. On s’est tout de même offert des
plaisirs plus intenses qu’à siroter le pastis !
Etape de 22 km.
Au départ, on s’attarde encore un brin sur les rives du Chassezac, au-delà de Chambonas et son château. Et puis on regagne les collines avec le Cévenol. Gentiment d’abord, sans rudesse. On s’élève doucettement par de bons chemins qui ont une bonhomie méditerranéenne ; ils sillonnent le versant d’un long ravin par des sous-bois de pins. Et quelques vignobles aussi aux abords des tranquilles hameaux qu’on traverse ou effleure. « Trop tard pour les vendanges ! » nous lance cordialement un paysan. Il reste pourtant quelques grappes rescapées, délicieusement sucrées.
Passé Les Aliziers, le sentier se corse. Les sentiers caillouteux grimpent de rudes collines boisées, dévale traverser un ravin pour remonter de plus belle. On enchaîne les grimpées pour perdre aussitôt de l’altitude. A ce jeu de montagnes russes ou de saute-mouton, quand donc atteindra-t-on les 900 m de la corniche du Vivarais cévenol ? On termine une grosse matinée à crapahuter dans la rocaille entre de vétustes murettes. Les feuilles de la châtaigneraie mêlent leur crissement aux heurts des cailloux.
On fait la pause méridienne à Saint-Jean-de-Pourcharesse. La placette qui sert de parvis à la vieille église romane (encore un beau clocher à peigne) fera l’affaire. Pas âme qui vive. Dans la maison voisine, radio ou TV assourdit les occupants : on a beau frapper à la porte ou aux volets ; et pas la moindre fontaine pour faire provision d’eau fraîche ! De cette terrasse, le paysage est plus généreux que les habitants.
L’après-midi nous réserve encore un dur morceau, encore une bonne partie de montagnes russes, où la grimpée se taille la part du lion. Le vieux sentier rocailleux nous emmène à travers les collines buissonneuses. Au hameau perdu de Dépoudent, (700 m), il nous reste une bonne suée jusqu’aux 865 m de Peyre : c’est que le soleil méridional inonde les collines rocailleuses, avares d’ombrage. Mais le spectacle de la finale estompe la fatigue : quand on dévale une sente de pays, on embrasse d’un coup d’œil la longue échine qui surplombe le ravin du Chassezac, rétrospective de notre étape précédente. Et au détour d’un lacet, on découvre soudain le minuscule hameau de Thines, terme espéré de cette rude journée. Mais l’étape paie largement la peine : Thines perche sur un éperon rocheux, à l ‘aplomb d’un vertigineux ravin. Le hameau ? Une poignée de vieilles maisons de schiste et lauzes serrées autour d’une église romane inattendue dans ce recoin de la Cévenne ardéchoise.
Au cœur de ces collines sauvages, voilà un chef-d’œuvre de l’architecture romane : harmonieuse simplicité des formes et appareillage subtil des matériaux, qui alterne pierres grises, roses et banches en une mosaïque raffinée. Par quel miracle les hommes du moyen âge, au XIIe siècle, ont-ils édifié cette œuvre d’art dans une pareille solitude ? Faut-il que ce hameau perdu ait connu jadis une activité économique d’importance pour assurer la construction de ce monument religieux ? Aujourd’hui, il perd ses bras et son âme : Allemands et Hollandais achètent à prix d’or les vieilles maisons, inaccessibles aux gens du cru. Et leurs volets clos, les vieilles demeures restaurées s’enfoncent dans le long sommeil des villages moribonds. Combien de fois n’a-t-on pas traversé, sur les causses, sur les pentes du Mont Lozère, dans les vallons perdus de l’Hérault ou de la Drôme, ces vestiges d’une civilisation rurale ? Etape de 22 km.
Cette étape comptera sans doute dans les annales de nos randonnées comme une des plus arrosées, des plus chahutées. Mes souvenirs se réduisent à peu de choses : une course quasi ininterrompue à travers le brouillard, dans la pluie, et sous les décharges de l’orage. À défaut de souvenirs visuels, d’émotions esthétiques devant les paysages que promettaient le parcours panoramique d’une voie romaine sur la crête du serre de la Dame et le topo-guide ( » très belles vues » annonçait-il), la violence de l’orage m’a laissé d’autres sensations aussi vives sans doute, mais bien moins plaisantes. Etait-ce bien raisonnable de déambuler sur cette longue échine dénudée, de longer les pylônes de cette ligne à haute tension, les pieds dans le torrent du sentier, sous le déluge et les éclairs de l’orage ? Mais que faire d’autre dans cette solitude quand le gîte est réservé… et qu’on garde, malgré l’âge, un brin d’inconscience ?
De fait, ne faut-il pas une certaine dose de folie pour s’arracher au confort douillet et courir ainsi les sentiers par tous les temps, en quête de ces émotions et de l’imprévu dont la vie moderne est avare ? D’ailleurs nous avons croisé un quatuor d’autres « fous », hommes et femmes, lancés dans cette même fuite aquatique.
Par bonheur, l’étape était la plus courte du circuit. J’avais bien prévu un détour hors G.R. sur le chemin panoramique qui encercle le massif de Prataubériat. Faut-il préciser qu’on s’en est tenus à l’itinéraire normal ? Un peu fous peut-être, mais pas déments ! On a donc échappé aux foudres de l’orage, sans éviter pourtant une ultime décharge électrique : dégoulinant, aveuglé par le déluge, je me suis précipité, à l’entrée de Loubaresse, dans une clôture électrifiée. Sensation vive, vous disais-je ! Etape de 18 km 500
Regard inquiet pour guetter là-haut une note d’espoir : le brouillard noie le village et l’on devine un cortège lugubre de masses nuageuses; mais on a vu pire et le déluge a cessé. Ce ciel lourd où flottent des écharpes de brume enveloppe la lande du col de Pratarabiat d’une atmosphère particulière, assez désolée.
Une traversée forestière nous mène alors aux Chambons. Moment de perplexité : il nous faut choisir entre le parcours de crêtes du GR®7 ou le GR®72 qui suit le vallon de la Borne. Notre circuit nous a déjà ménagé pas mal de tronçons panoramiques ; et puis le temps n’est guère sûr : on ne veut pas courir le risque d’un nouvel orage sur les crêtes dénudées. En route donc pour le GR®72. Et sans regret tant il se révèle vite sauvage et pittoresque.
À peine un bout d’asphalte, agrémenté de buissons de mûriers (masquant le précipice, n’est-ce pas, Willy !) et puis on dévale un sentier caillouteux qui serpente au flanc du profond ravin. Tout au fond, la Borne écume et gronde, gonflée par le déluge de la veille. Les lacets s’enfoncent dans le canyon, multipliant les points de vue spectaculaires sur le torrent. Même les ruines d’une tour ne manquent pas à ce parcours romantique. Le hameau de Borne ne rompt pas cette atmosphère. Il ne compte qu’une poignée de maisons et quelques ruines, vestiges nostalgiques d’un passé qu’on devine aisé. Ainsi ce superbe porche de granit, frappé d’un mot énigmatique et d’une date vénérable « 1667 ».
Le sentier poursuit sa plongée au versant du ravin et s’enfonce sous le couvert. On y franchit à gué l’un et l’autre ruisseaux, affluents de la Borne, avant de rencontrer, perdues tout au creux de ce vallon sauvage, les quelques maisons écroulées de Conches. Jusqu’à sa mort assez récente, apprendra-t-on à notre halte prochaine, une vieille s’accrocha aux ruines de sa demeure. Mais de quoi donc pouvaient vivre, ou survivre, les habitants de ces écarts, perdus dans un fond de vallée rocailleux et couvert de taillis ? Si près de notre société opulente, qui s’alarme, s’affole au moindre caprice de la Bourse, quelle vie primitive, infiniment laborieuse, ont-ils dû mener pour arracher de quoi survivre à cet environnement hostile ? Ainsi les sentiers, qui nous mènent vers le dépaysement et les trésors de la nature, nous promènent aussi à travers l’histoire des hommes pour notre édification. Et notre sagesse ?
Le sentier s’écarte alors du ravin de la Borne. Il nous surprend quand il reprend soudain de l’altitude avant de dévaler vers Saint-Laurent-les-Bains. Petite église aux lumineux vitraux modernes. Mais les curistes sont surtout intéressés par les vertus des sources thermales, dont l’eau, surgie à 53°, ferait merveille contre les rhumatismes. Nous n’en sommes pas encore réduits à ces expédients et préférons l’adage bien connu : « Un jour de sentier, … ». De fait, au sortir de la bourgade, on s’offre une dénivelée de 350 m pour dépasser l’altière tour Saint-Laurent et atteindre la croix du Pal. Quasi au pas de charge car l’orage gronde et l’horizon se charge de nuages inquiétants. On dégringole dans le vallon du Rieufrais, vers l'abbaye Notre-Dame-des-Neiges, que l’on atteint avec les premières gouttes.
La Trappe Notre Dame des Neiges a été fondée dans le courant du XIXe siècle par les trappistes cisterciens ; mais les bâtiments actuels furent reconstruits en 1912 à la suite de l’incendie du monastère. Robert Louis Stevenson y séjourna au cours de son périple à travers les Cévennes. Pourtant c’est sans aucun doute Charles de Foucault qui a marqué l’histoire de l’abbaye. C’est là, après son noviciat, qu’il fut ordonné prêtre avant son départ pour le Sahara. Pendant la seconde guerre mondiale, la communauté cistercienne y abrita des clandestins, dont Robert Schuman. Aujourd’hui, les moines produisent un vin de table très honnête, à partir de raisins récoltés dans les vignobles du Midi (Bellegarde).
Inutile de s’attarder à la trappe : la pluie ne s’arrêtera pas de sitôt. Il ne s’agit d’ailleurs que la « queue » de l’orage et puis il ne reste que 3 gros km pour boucler notre ultime étape. Ce sera fait en un temps record, en filant dans le vallon du Rieufrais. L’Etoile est toujours une halte aussi accueillante et confortable. Philippe Papadimitriou se fera d’ailleurs un plaisir de nous mener à la Trappe et de nous introduire auprès du responsable des chais pour une dégustation des divers cépages. Très agréable couronnement de notre randonnée cévenole.Etape de 21 km 500.
Renseignements pratiques:
La plus grande partie du circuit emprunte des sentiers balisés et la plupart d’entre eux sont décrits dans le topo-guide « Des Gorges de l’Ardèche à la Margeride ».
La carte du « Parc national des Cévennes » au 1/100.000 couvre la totalité de la randonnée. Quelquefois les cartes IGN 1/25.000 peuvent se révéler utiles en dehors des parcours balisés.
La liste la plus complète des gîtes d'étape est éditée chaque année par le Parc National des Cévennes: (brochure gratuite). Info: Parc National des Cévennes, BP 25, F-48400 Florac, 04.66.49.53.01, 04.66.49.53.02
Ancien hôtel de villégiature avec un jardin au bord de l'Allier, L'Etoile Maison d'hôtes se situe à La Bastide-Puylaurent entre la Lozère, l'Ardèche et les Cévennes dans les montagnes du Sud de la France. Au croisement des GR®7, GR®70Chemin Stevenson, GR®72, GR®700Voie Régordane (St Gilles), Cévenol, GR®470 Sources et Gorges de l'Allier, Montagne Ardéchoise, Margeride et des randonnées en étoile à la journée. Idéal pour un séjour de détente.
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